Heinz Jörres, le photographe qui aime les harmonicistes


   Il est probablement l'un des photographes de concert les plus doués de sa génération. L'Allemand Heinz Jörres  a fait des clichés d'harmonicistes sa spécialité.


"Photograhe du blues" - Si, comme moi, vous fréquentez assidûment les festivals et concerts de la petite musique bleue en Europe, vous l'aurez peut-être aperçu, tapi dans un coin de la salle, collé à son télé-objectif, traquant l'instant fugace où, sur scène, les artistes se livrent…  Mais il est plus probable que vous n'aurez guère remarqué ce professionnel à la barbe grisonnante dont la discrétion n'a d'égal que le talent. L'Allemand Heinz Jörres, 62 ans, se définit comme un "photographe du blues" qui, en plus de quarante ans de carrière, a mis en boîte les plus grands interprètes de la planète bleue. Ses clichés en noir et blanc marient l'intuition à la composition, découpant la réalité d'un "tir" photographique fulgurant. Basé à Düren ( Rhénanie-du-Nord/Westphalie),  Heinz Jörres s'est par ailleurs fait une spécialité des clichés d'harmonicistes en action.


Fasciné par les harmonicistes - Passé le temps de l'apprentissage en culottes courtes, Heinz Jörres s'est d'abord intéressé aux machines, et plus particulièrement aux motos, avant de passer à la photographie de spectacle. "J'ai toujours aimé le blues. J'ai remarqué que la photo en noir et blanc que je pratiquais rendait les artistes du genre particulièrement expressifs", m'a-t-il confié lors de notre rencontre en novembre, au dernier World Harmonica Festival de Trossingen (Allemagne). "Au fil du temps, j'ai développé une tendresse particulière pour les harmonicistes dont les expressions sur scène m'ont immédiatement fasciné. Depuis, ce sont les instrumentistes que j'ai le plus photographiés", ajoute-t-il. Je vous propose ici un petit florilège de ses clichés. Et vous recommande chaudement  son site www.bluespic.de


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Le "tongue blocking": effet ou embouchure ? Steve Baker répond...

Le "tongue blocking" est-il un simple effet de jeu ou s'agit-il d'une embouchure à part entière? Là-dessus, les avis divergent. Steve Baker donne le sien, carré et sans concession.


TB vs CDP - Une discussion enfiévrée m'a opposé récemment à un harmoniciste professionnel, pour qui le "tongue blocking" (TB) n'était qu'un effet de jeu alors que je soutenais qu'il s'agissait d'une embouchure. A ceux ayant zappé les papiers que j'ai consacrés sur ce blog au jeu lingual (lire ici et ici), je rappelle que le TB consiste, grosso modo, à utiliser de manière intensive sa langue pour passer de notes simples aux accords sans suspendre la note initiale. En cela le TB se différencie du jeu en dit "en cul de poule" (CDP) ou "en bisou" où la langue n'intervient que très peu. Mon propos n'est pas ici d'opposer ces deux manières de jouer mais de répondre à la question suivante: le TB est-il un effet de bouche (comme le "wah wah" est un effet de mains) ou doit-il être considéré comme une embouchure à part entière?

Deux écoles s'affrontent - De nombreux forums débordent de discussions passionnées sur les vertus comparées de ces approches différentes et, clairement, deux écoles s'affrontent! Si Joe Filisko, Dennis Gruenling et Greg Zlap assurent ne jouer qu'en TB, y compris les altérations soufflées des trous 7, 8, 9 et 10, Carlos del Junco, Charlie Musselwhite, Thierry Crommen et Michel Herblin jurent n'utiliser que le jeu en CDP, à l'exception de quelques octaves obligées. D'autres encore, comme Steve Baker, disent employer tour à tour TB et CDP en fonction des lignes mélodiques. Familier des deux techniques, Baker m'a paru de ce fait le mieux placé pour porter un jugement éclairé sur le différend évoqué plus haut. Je lui ai donc posé la question. Voici sa réponse qui, m'étant parvenue en anglais, a été traduite par mes soins. Ceux qui voudraient avoir le texte original peuvent me le demander...

Possibilités rythmiques considérables - "L'une des plus anciennes méthodes pour jouer de l'harmonica, et aussi l'une des plus répandues, consiste à envelopper avec les lèvres plusieurs canaux (Note du traducteurdu sommier) et de les couvrir avec la langue à l'exception du canal  produisant la note la plus haute. Cette méthode est généralement connue en anglais comme le "tongue blocking" (NDT: en français "jeu lingual") même si j'ai entendu employer le terme de "vamping" dans certains cercle de musique folk. Le "tongue blocking" (TB) constitue la fondation de pratiquement tous les styles traditionnels et il est utilisé par un grand nombre d'instrumentistes modernes, au moins dans certaines circonstances. Le TB permet notamment de combiner notes isolées et accords en enlevant puis en remettant la langue sur les canaux enveloppés par les lèvres. Aucune autre embouchure ne permet cela. Les possibilités rythmiques offertes par cette technique sont considérables et fondamentales pour des styles de jeu allant du folk alpin (NDT: le oumpah-pah) au celtique en passant par le blues et le classique…".

Le TB change le son - "Un autre aspect significatif du TB est qu'il change considérablement le son de l'instrument par rapport au CDP. En 1997,  j'ai pu le mesurer dans le laboratoire acoustique de Hohner (NDT: premier fabricant mondial de notre instrument). Lorsqu'on joue la même note d'abord avec une embouchure en CDP puis avec un TB, le spectre des harmoniques s'affichant sur un oscilloscope affiche immédiatement des différences majeures. En CDP, l'harmonique fondamentale apparaît relativement faible alors que les harmoniques subséquentes apparaissent de manière très prégnantes. En TB, c'est l'inverse: la fondamentale est renforcée et les subséquentes sont plus faibles. Cela se traduit par un son plus enveloppant et plus riche".

Le TB, pas un effet en soi - Ces constatations avaient été faites auparavant de manière empirique par nombre de joueurs en TB mais il n'en existait aucune preuve scientifique. A la vue des relevés de l'oscilloscope, établis de manière claire et systématique en laboratoire, j'ai dû faire l'effort (réel) d'apprendre le TB. Je l'utilise aujourd'hui la moitié du temps, en permutant entre le CDP et le TB, et inversement, lorsque les circonstances l'exigent. Certains effets ne peuvent être réalisés qu'avec une embouchure en TB, tels les "coups de langue", les "retraits" de langue (NDT: du sommier), les octaves et autres intervalles ainsi que les "inversions" de langue (NDT: pour jouer en succession rapide les deux notes d'une octave). Cependant, même le TB peut limiter le jeu de ceux qui jouent vite et/ou font un grand usage d'altérations et/ou d'overblows, il s'agit d'une technique fondamentale pour tous les styles du blues traditionnel. Tous les grands stylistes de l'harmonica blues, de John Lee Williamson à Little Walter en passant par Big Walter Horton jusqu'à Kim Wilson et Rick Estrin se sont appuyés ou s'appuient sur le TB pour réaliser une combinaison entre timbre "poisseux" et  accentuation rythmique…".

Le TB, une approche fondamentale de l'instrument - Cette combinaison ne peut pas être réalisée autrement! De sorte que, même si le TB peut être utilisé pour créer des effets spécifiques ne pouvant être réalisés autrement, il ne s'agit définitivement pas d'un effet en soi mais plutôt d'une approche fondamentale de l'instrument qui se trouve au coeur de nombre de styles. Il existe, bien entendu de grands joueurs d'harmonica qui ne jouent que rarement ou jamais en TB. Tout comme il existe de grands joueurs qui ne recourent pas aux "overblows". Mais il faut reconnaître une certaine vérité à l'affirmation de Magic Dick (NDT: l'harmoniciste de l'ex J. Geils Band) selon laquelle "si vous ne jouez pas en TB, vous ne jouez pas de l'harmonica".





Steve Baker, l'auteur du "Harp Handbook", ouvrage de référence - L’Anglais Steve Baker est l’un des harmonicistes les plus influents du moment et l’une des pierres angulaires de la scène harmonicale contemporaine.  Né à Londres où il a passé son enfance et son adolescence, il vit actuellement dans la région de Hambourg (Allemagne). Musicien professionnel depuis plus de 35 ans, le « Professeur » Baker a développé un style qui, expressif et lyrique, est reconnaissable entre tous. Son jeu s’inspire de la tradition du blues mais fusionne des éléments de la country, du folk, du funk, de la soul et du jazz. Il se produit régulièrement avec « Blues Culture », un trio mené par Abi Wallenstein,  une icône du blues en Allemagne, avec lequel il a publié six CDs. Il a également enregistré quatre CDs sur Acoustic Music Records avec l’immense guitariste américain Chris Jones. Baker collabore actuellement avec le compositeur et guitariste virtuose Dave Goodman. avec lequel il a publié en 2012 son premier CD, « The Wine DarkSea » (Acoustic Music Records), qui a reçu un accueil dithyrambique de la critique. Il est en outre l’auteur du “HarpHandbook” (Music Sales), méthode d’apprentissage de référence qui, considérée comme la "bible" des joueurs d’harmonica, a été publiée en 1990 et ré-éditée quatre fois depuis. Baker a donné des milliers de concerts et enregistré à des centaines de reprises en studio, pour des longs métrages et des émissions de télévision. Consultant chez Hohner depuis 1987, il a été étroitement associé au développement des nouveaux modèles diatoniques de la firme allemande, « Marine Band Deluxe », « Marine Band Crossover » et « Marine Band Thunderbird ». Il est enfin l'initiateur des ''Harmonica Masters Workshops" de Trossingen (Allemagne) devenus depuis 2003 un rendez-vous mondial incontournable des amateurs et des professionnels de l'instrument.

La vidéo de la semaine: bon anniversaire, Larry Adler...



Il y a cent ans aujourd'hui, le 10 février 1914, naissait à Baltimore (Maryland) Lawrence Cecil Adler, considéré comme le plus grand interprète de musique classique à l’harmonica chromatique du 20è siècle. Des compositeurs comme Ralph Vaughan Williams, Malcolm Arnold, Darius Milhaud, Arthur Benjamin et Gordon Jacobs ont notamment écrit pour le virtuose. L'un des "people" de son époque, Adler, dont la biographie wikipédia est ici et dont une biographie plus détaillée (en anglais) se trouve ici, a fréquenté Charlie Chaplin, Greta Garbo, Gloria Swanson, Salvador Dali et Fred Astaire. On lui a même prêté une liaison avec la Suédoise Ingrid Bergman. En 1949, accusé de "sympathies communistes" (voir ici), il s'était exilé à Londres et n'était jamais plus retourné dans sa mère patrie. En 1994, pour ses 80 ans, il avait enregistré son dernier grand album « The Glory Of Gershwin » (Mercury), un musicien qu’il avait adulé pendant toute sa carrière. Souffrant d'un cancer, il était décédé en août 2001 à l'Hôpital Saint-Thomas de Londres. Il a laissé une impressionnante discographie que l'on peut consulter ici. Dans la vidéo enregistrée moins d'un an avant sa disparition que je vous propose, il interprète l'une de ses dernières compositions intitulée "Le blues du garde-chiourme". Repose en paix, Larry...

Un ampli de légende, le Danelectro "Commando Model 88"

La légende veut que le Danelectro "Commando Model 88" ait été l'un des amplis favoris de Marion "Little Walter" Jacobs. Equipé de huit HP et d'un  quad de 6V6, la bête "envoie" assurément. Elle vous séduit? Préparez-vous à payer un bras pour apprendre à la dompter...



Le Graal du son amplifié pour l'harmonica - L'ampli que vous regardez est un mythe! A l'égal du Fender Bassman 1959, il nourrit depuis des lustres les fantasmes des harmonicistes en quête du "gros son", c'est-à-dire à peu près chacun d'entre nous… Le Danelectro "Commando Model 88", c'est son nom, est aussi illustre qu'il est recherché, et donc rare… La raison? Il aurait été l'ampli de prédilection de Marion "Little Walter" Jacobs! Billy Boy Arnold, l'un des derniers bluesmen de la grande époque que j'ai rencontré en 2010 à Phoenix (Arizona), me l'a confirmé: "Oui, Walter aimait le son de cet ampli. Il en jouait dès qu'il pouvait mettre la main dessus". Dans sa biographie "Blues With A Feeling, The Little Walter Story", l'historien du blues Scott Dirks rapporte également que Walter jouait fréquemment sur un "Commando". Et cela, même s'il est moins affirmatif sur l'équipement du maître dans cette interview. Voyons d'un peu plus près de quoi est constituée la bête que beaucoup considèrent comme le Graal du son amplifié pour l'harmonica. Une remarque avant de fouiller ses entrailles: selon des statistiques professionnelles, il se serait fabriqué moins de 1.500 exemplaires de cette petite merveille qui se négocie entre €3.000 et €4.000 sur les sites spécialisés. Si vous la trouvez...


Un circuit classique des années 50 - Le "Commando 88" (poids 17 kg) se présente comme un "ampli valise" ("suitcase amp") de 55 cm (hauteur) par 55 cm (largeur) par 25 cm (profondeur) qui, lorsqu'on l'ouvre, laisse apparaître huit haut-parleurs (HP) --quatre pour chacune des deux parties de la "valise"--, un amplificateur à lampes et une barre de commandes. Fabriqué entre 1954 et 1960 par Danelectro, marque d'amplis fondée en 1947 par Nathan Daniels à Camarillo (Californie), le "Commando 88" propose un double (deux canaux) circuit d'amplification de 30 watts de classe A, typique de l'époque: une lampe de redressement 5Y3, une lampe de pré-amplification 12AX7, une deuxième 12AX7  pour l'inversion de phase, une 6SN7 pour un étage de gain supplémentaire, quatre lampes de puissance 6V6 et une pentode 6SJ7 (de 1954 à 1958, une 6AU7 de 1958 à 1960) pour le vibrato.


Des contrôles doublés pour chacun des deux canaux - Les HP maintenant: il s'agit de huit gamelles AlNiCo (aluminium-nickel-cobalt) dynamiques à aimant permanent de 8 pouces, modèle 10610, de la firme Rola d'Oakland (Californie) qui a disparu dans les années 70. Elles sont branchées en deux séries parallèles  (quatre par canal), ce qui a pour effet de faire chuter l'impédance de l'ensemble des enceintes. La barre de commandes située à droite, dans la partie supérieure de la "valise", est d'une simplicité biblique (photos ci-bas): chaque canal dispose de trois entrées "jack" 1/4 de pouce et de trois contrôles en bakelite pour les basses, les aiguës et le volume. Curieusement, les aiguës et le volume se règlent de la gauche vers la droite, dans le sens des aiguilles d'une montre (zéro à dix) alors que les basses se règlent de la droite vers la gauche, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.


Gros transfo - La partie à proprement parler "ampli de puissance" montée dans la partie inférieure de la "valise" n'est pas davantage complexe. Elle fait apparaître de gauche à droite (photo ci-bas) un témoin lumineux "marche/arrêt", une entrée "jack" 1/4 de pouce pour la pédale "marche/arrêt" du vibrato, l'interrupteur "marche/arrêt", le cordon d'alimentation, le logement du fusible et deux contrôles pour la vitesse et l'intensité du vibrato. Notez que le transformateur d'alimentation apparaît particulièrement costaud.


Relooké pour la grande distribution - Mis sur le marché comme un ampli à la conception révolutionnaire (voir la pub ci-bas), le "Commando 88", que l'on voit ci-contre ouvert de face, a été vendu sous au moins trois autres marques: Silvertone (modèle 1337), Montgomery Ward (modèles 35-JDR-8419 et 55-JDR-8437) et Airline (modèle GDR-8518-A). Silvertone a été entre 1915 et 1972 la marque des instruments de musique du distributeur Sears-Roebuck. Créé en 1872, Montgomery Wards fut jusqu'à sa disparition en 2000, l'un des plus importants groupes de distribution des Etats-Unis dont Airline fut l'une des marques "low cost".

Alorscomment ça sonne ? Bonne question. Pour vous permettre de vous faire une opinion sur le "gros son" donné par cet ampli, j'ai glané quelques vidéos que je vous propose ici. Il s'agit de trois "Danos" des années 1953, 1956 et 1957…