"Got My Mojo Working": comment il marche, ton gri-gri ?

Tout harmoniciste qui se respecte se sera, un moment ou un autre, fait les dents sur « I Got My Mojo Working ». Mais qu'est au juste un « mojo »?

Le morceau, écrit en 1956 par l'acteur et guitariste Preston Foster, et repris en 1957 par le bluesman McKinley Morganfield de la chanteuse de R&B Ann Cole, a fait rentrer le mot dans le vocabulaire américain sans que l'on sache trop ce qu'il veut dire. Voici, enregistré en 1960 au festival de jazz de Newport (Rhode Island), Muddy Waters qui constatait que "son mojo ne marchait pas" pour un public essentiellement composé de Blancs. A l'harmonica, l'on reconnaîtra James Cotton



Alors, "mojo"? Pour certains, le terme  désigne le pénis après que Jim Morrison, le chanteur des Doors, se fut donné le sobriquet de « Mr Mojo Rising ». Ce surnom n'était en fait qu'un anagramme de son patronyme. Pour d'autres, c'est une sauce, un logiciel de partage de musique, une marque de vélos, de petits gâteaux voire de masques de ski. Et bien d'autres choses encore... En fait, le mot apparaît dès les années 30 dans des enregistrements de blues ruraux.

En 1931, il figure à plusieurs reprises dans les 1ère et 2è strophes d'un "Scary Day Blues" enregistré par le guitariste Blind Willie McTell pour le label Okeh à Atlanta (Géorgie):

"My good gal got a mojo, she's tryin' to keep it hid
My gal got a mojo, she's tryin' to keep it hid
But Georgia Bill got something to find that mojo with

I said she got that mojo and she won't let me see
She got that mojo and she won't let me see
And every time i start to love her she's tried to put that jinx on me..."

On le trouve également dans le titre et plusieurs strophes d'un "Take Your Hands Off My Mojo" enregistré en février 1932 à New York par un duo Leola B. Pettigraw et Socks Wilson:

"Honey, I done seen your mojo, that thing ain't nothin' but a joke
But if I keep my hands off your mojo,  you'll stay for ever broke..."

Copyright Robert Crumb
Et dans son "Little Queen Of Spades" enregistré en 1937, Robert Johnson l'évoque dans la 3è strophe:

"Everybody say she got a mojo, now, she's been usin' that stuff
Mm, 'verybody says she got a mojo, 'cause she been usin' that stuff
But she got a way trimmin' down, fair brown, and I mean it's most too tough...".

Alors, "mojo" ? Pour Catherine Yronwode, l'une des grandes spécialistes de la culture vaudou, le "mojo", c'est un gri-gri, une amulette qui protège son porteur du diable et/ou lui porte chance. Il désigne un petit sac en tissu porté sur soi à l'intérieur duquel se trouvent des herbes, des huiles, des cailloux, des fragments d'os, des plumes, des cheveux voire des ongles. Certains ethnologues estiment qu'il s'agit d'une corruption du mot anglais "magic". Yronwode l'associe plutôt au mot africain "mojuba" qui désigne une "prière dans un sac". Le vaudou est, en effet, un culte originaire de l'ancien royaume du Dahomey (l'actuel Bénin) répandu à partir du 17è siècle par les esclaves noirs dans les Caraïbes et en Amérique du Nord, et particulièrement en Louisiane.

"Mojo hand", "conjure hand", "lucky hand", "conjure bag", "trick bag", "root bag", "toby", "jomo" sont d'autres termes associés au vaudou (ou "hoodoo" que Junior Wells invoque ici) dans le blues. Le chat, surtout s'il est noir, est la créature vaudou par excellence. Les couleurs participent fortement au symbolisme du culte: la "mojo hand", le sac à "mojo" donc, est blanc s'il est destiné à un enfant, vert s'il doit rendre riche son propriétaire, rouge pour les charmes amoureux et bleu pâle pour un "mojo" domestique, selon la nomenclature chromatique établie par Yronwode.
Mais dans tous les cas, la "mojo hand" doit rester cachée pour être efficace. Cette règle, qui ne souffre aucune exeption, explique pourquoi le "mojo" a une double signification dans le blues, où il désigne si fréquemment un attribut sexuel.

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